La stratégie d'investissement

juin 2022

Le récent frémissement positif des marchés est-il durable ?

Après s’être inquiétés pendant quelques semaines de l’accumulation de mauvaises nouvelles, les marchés financiers se sont redressés dès l’apparition de premiers signaux encourageants. Cette rapide volte-face parait justifiée par le niveau de pessimisme qui avait été atteint. Le rebond, souvent qualifié de technique, aura besoin de confirmation des améliorations entrevues ou espérées pour se poursuivre au-delà de quelques jours ou de quelques semaines car les investisseurs sont un peu échaudés. Ce scénario nous semble toujours réalisable dans le courant du second semestre mais nous n’excluons pas un retour de la volatilité entretemps en cas de déception. Nous attendrons donc d’être rassurés sur ce point pour remonter les niveaux d’investissement des portefeuilles. Nous renouvelons cependant notre conseil d’utiliser les prochains épisodes de volatilité pour continuer à acheter des actions sur des portefeuilles récents ou très peu exposés. Nous n’avons pas modifié nos recommandations un peu prudentes sur les actions à court terme alors que le potentiel de hausse des indices d’ici à la fin de l’année reste compris entre 8 et 11%. Les évènements et les évolutions des marchés au cours du mois de mai renforcent néanmoins notre conviction dans la réalisation de cette progression.

  

 

Le mois de mai s’est déroulé en deux temps. Pendant 3 semaines, les marchés financiers ont prolongé leur tendance négative, caractérisée par la hausse des taux d’intérêt à long terme et la baisse des indices boursiers. Les taux ont ainsi retrouvé aux Etats-Unis leur niveau de 2018 à 3.2%, et, en Europe, 1.2% et 1.70% pour les taux allemands et français. Cette remontée s’appuyait sur des anticipations toujours plus fortes de relèvement des taux de la FED et sur une première confirmation de la BCE qu’elle pourrait relever les siens de 0.25% en juillet et une seconde fois au second semestre pour les ramener à zéro. Ceci paraissait assez cohérent au vu de la progression régulière de l’inflation. Cette situation ne pouvait que renforcer les craintes d’une récession engendrée par une hausse rapide et forte des taux alors que parallèlement les confinements chinois et la guerre en Ukraine apportaient leur lot d’incertitude sur l’activité économique. Dans ce contexte, les actions américaines ont baissé fortement pour atteindre un nouveau plus bas le 20 mai (en repli de -20% par rapport au plus haut de début janvier) alors que les actions européennes contenaient leur recul et restaient au-dessus de leur point bas de début mars. Il faut noter que l’inflation américaine publiée le 11 mai, pourtant en recul de 8.5% à 8.20%, n’avait pas rassuré les investisseurs actions dans un premier temps alors que les marchés obligataires américains l’actaient par un repli des taux longs.

Le rebond des actions n’est donc intervenu que dans un second temps, aidé par la poursuite de cette baisse des taux longs. Mais d’autres facteurs techniques l’ont favorisé : les indices américains ont touché des supports graphiques importants pendant que d’autres outils signalaient une baisse excessive et un pessimisme prédominant. Toutes choses nécessaires à un bon rebond technique classique des indices ce qui s’est mis en place à l’annonce des premiers allègements des confinements à Shanghai et Pékin.

Que penser de ce rebond technique ? Typiquement, pour le transformer en rebond durable, il faut avoir soit une amélioration de l’environnement soit de ses perspectives. Or, si les statistiques économiques publiées ont validé un ralentissement de l’activité, il n’est pas généralisé et celle-ci reste encore soutenue aux Etats-Unis, dans certains pays d’Europe et d’Asie. Même si les prévisions de croissance sont plutôt révisées en baisse, la probabilité de récession en 2022 aux Etats-Unis ou en Europe reste faible, la possibilité de trou d’air d’un trimestre n’étant pas exclue. Inversement, la poursuite du conflit ukrainien avec la hausse des prix qu’il a engendré, entretient l’incertitude tout comme le délai de retour à la normale de l’activité en Chine. Les fondamentaux ne se sont donc pas suffisamment améliorés à nos yeux. En revanche, les perspectives sont moins défavorables. C’est le cas en Chine avec la réouverture des activités en cours mais aussi grâce à de nouvelles mesures de soutien des Autorités. C’est peut-être aussi le cas avec l’inflation aux Etats-Unis où le consensus semble plus enclin à croire à un pic au mois de mai. D’ailleurs, les anticipations de durcissement de la politique monétaire se sont atténuées.

Ceci signifie que le scénario de soft landing, accompagné d’une normalisation de l’inflation et d’une pause de la FED en fin d’année, revient en grâce.

Le prochain chiffre d’inflation qui sera publié le 10 juin prochain sera donc déterminant pour l’évolution des taux et des marchés. Il est donc trop tôt pour conclure que le rebond va se poursuivre durablement, même s’il n’est probablement pas tout à fait terminé. Compte tenu des facteurs d’incertitude, la prudence reste conseillée au vu de la volatilité et des risques de fluctuations importantes.

L’évolution du contexte économique pilote également les estimations de bénéfices et les valorisations des marchés. Ces dernières se sont bien améliorées avec la baisse des multiples de capitalisation (PER), retombés sous leur moyenne historique en Europe et s’en rapprochant aux Etats-Unis. Les valeurs les plus chères qui ont beaucoup baissé pourraient d’ailleurs retrouver du soutien si la hausse des taux se modérait. Enfin, la prime de risque, qui mesure l’écart de valorisation entre les taux d’intérêt et les actions reste en faveur de ces dernières.

Quant aux bénéfices qui seront publiés en 2022 et 2023, un doute subsiste. L’apparente résistance des prévisions bénéficiaires des analystes financiers pour les indices masque deux situations différentes : une forte hausse et une amélioration pour les secteurs de l’Energie et des Produits de Base alors que plusieurs autres secteurs voient leurs estimations se dégrader assez logiquement (Automobile, Biens de Consommation, Distribution, Technologie pour les principaux).

Cette évolution peut-elle également entraver le rebond des indices ? Tout dépend de son intégration dans les cours. Les valeurs les plus cycliques, les plus en risque ont déjà fortement baissé. Elles sont donc susceptibles de progresser si les perspectives s’améliorent à moyen terme même si les prévisions bénéficiaires sont revues en baisse pour 2022. D’ailleurs, de manière assez constante, les marchés actions anticipent très souvent de plusieurs mois les révisions des analystes financiers. En résumé, l’examen des valorisations nous semble être ni défavorable ni particulièrement favorable.

En conclusion, les interrogations et les incertitudes des marchés sur la croissance et l’ampleur de la hausse des taux semblent commencer à s’apaiser, notamment aux Etats-Unis. La situation en Ukraine et son influence sur les prix et la disponibilité de nombreux biens n’a pas suffisamment évolué pour améliorer la visibilité en Europe de manière certaine.

Quelles évolutions attendre des marchés pour les prochains mois ?

Les indices pourraient entrer dans une phase de consolidation horizontale. Il nous semble probable que la phase de forte baisse des marchés actions se soit terminée au mois de mai mais la phase de reprise devrait être hésitante tant que les améliorations entrevues ne sont pas confortées ou confirmées.

 

Nous attendrons donc d’être rassurés sur ce point pour remonter les niveaux d’investissement des portefeuilles. Nous renouvelons cependant notre conseil d’utiliser les prochains épisodes de volatilité pour continuer à acheter des actions sur des portefeuilles récents ou très peu exposés.

 

Nous avons peu modifié nos objectifs pour les indices actions. D’ici à la fin de l’année, le potentiel de hausse est d’environ 8% par rapport aux derniers cours en Europe et de 11% aux Etats-Unis. Les évènements et les évolutions des marchés au cours du mois de mai renforcent néanmoins notre conviction dans la réalisation de cette progression.

Nous n’avons pas modifié nos opinions sur les actions. A court terme, nous avons maintenu nos opinions Neutre les actions américaines et Sous pondérer en Europe. Nous conservons nos opinions Surpondérer à moyen terme sur les valeurs américaines et européennes et Neutre sur les autres zones géographiques, à l’exception de l’Europe de l’Est (Russie) que nous sous-pondérons à court et moyen terme.

Les évolutions des marchés nous ont amenés à modifier nos recommandations sectorielles comme suit. A court terme, nous avons abaissé les notes de plusieurs secteurs défensifs à Neutre (Santé, Media, Alimentation) et relevé celles de secteurs de croissance (Technologie, Biens de Consommation) dont les valorisations se sont dégonflées. A moyen terme, nous avons plutôt réduit les notes de secteurs sensibles à l’activité (Construction & Matériaux) ou à l’évolution des taux longs (Immobilier).

Nous conservons une opinion Sous-pondérer à court et à moyen terme sur les produits obligataires. Nous conservons une opinion Neutre sur les emprunts d’Etats US (dorénavant couverts). Nous avons également relevé à Neutre le Crédit US de bonne qualité et couvert du risque de change.

Lors de notre dernier Comité d’Allocation d’Actifs de fin mai, nous avons légèrement réduit notre sous-exposition en action et nous avons opéré un arbitrage en faveur des Etats-Unis et de l’Asie au détriment de l’Europe.

Nous avons allégé parallèlement le poids des produits inflation et monétaires et relevé celui des obligations privées.

Vincent GUENZI

Directeur de la Stratégie d’Investissement

Achevé de rédiger le 3 juin 2022.