La stratégie d'investissement

octobre 2022

Une petite lumière au bout du tunnel ?

Les marchés financiers restent ballotés par de multiples vents contraires que nous analysons dans cette note. Cette situation finira tôt ou tard par laisser la place à un environnement plus calme et progressivement plus porteur. Ce moment n’est certes pas encore arrivé et il est même repoussé dans le temps du fait de la persistance d’une inflation élevée et de la situation géopolitique. Les actions et les taux d’intérêt se sont progressivement adaptés à cet environnement et leur valorisation le reflète en grande partie. La tendance négative qui est à l’œuvre sur les marchés ne peut pas encore s’inverser durablement, ce qui explique les reprises techniques passagères que nous connaissons après chaque nouvelle phase de stress. Dans ces conditions, nous conservons une vue prudente à court terme sur les actions. Le potentiel de baisse supplémentaire des indices s’est cependant réduit compte tenu des niveaux de valorisation atteints, spécialement en Europe, et le potentiel de rebond à moyen terme s’est accru. Parallèlement, nous maintenons également notre conseil de renforcer progressivement le poids des actions dans les portefeuilles très peu investis.

Les indices boursiers ont subi un nouveau coup dur au mois de septembre avec les nouveaux relèvements des taux directeurs des banques centrales de +0.75% aux Etats-Unis et en Europe. La ferme intention de la FED de faire reculer l’inflation a poussé une nouvelle fois à la hausse les anticipations de politique monétaire (avec des taux directeurs de la FED prévus entre 4.25 et 4.5% en fin d’année) et le niveau des taux à long terme américains (à 4%). Le mois de septembre s’est conclu sur une forte baisse généralisée des indices actions de l’ordre de 7% et une remontée des taux à 10 ans des pays développés, assez uniforme, d’environ 60 à 70 points de base. Le marché des changes a été encore volatile, le dollar s’est fortement apprécié face à la quasi-totalité des devises, bénéficiant toujours de sa bonne rémunération et de son rôle de valeur refuge.

La dégradation des perspectives économiques a contribué également à peser sur le moral et sur la confiance des investisseurs. Cependant, la détérioration n’est pas homogène.

Elle est manifeste en Europe où l’activité de presque tous les grands pays se contracte. La France y échappe encore, comme souvent dans cette phase du cycle. Le PIB européen des 2 prochains trimestres pourrait donc s’afficher en décroissance dont l’ampleur pourrait être atténuée par les politiques de soutien et de contrôle des prix de l’énergie que l’Europe essaie de mettre en place. L’économie américaine reste résiliente grâce au plein emploi qui persiste mais l’expansion, encore forte, montre des signes d’essoufflement dans les ventes de détail, la production industrielle et, plus encore, dans le secteur immobilier. Un passage en récession n’est pas encore certain. La situation au Japon est très hésitante, l’activité étant proche de la stagnation mais sans tendance claire. Enfin, au sein des Bric, l’activité reste soutenue en Inde et au Brésil mais son rythme ralentit. En Chine, elle est un peu plus faible et ralentit aussi du fait de la poursuite de la politique de Zéro Covid et de l’affaiblissement prononcé du secteur immobilier.

L’inflation se maintient à des niveaux trop élevés dans de nombreux pays. En effet, la forte épargne accumulée par les ménages lors de la pandémie et le plein emploi ont sans doute contribué à soutenir la demande malgré la hausse des prix que les entreprises ont pu appliquer sans difficulté jusqu’à présent. Cela ressort clairement des communiqués de celles-ci, confiantes dans leur capacité à répercuter toute hausse de leurs coûts. Cette situation devrait s’estomper pour plusieurs raisons. Les prix des matières premières ont baissé (hors énergie), les goulots d’étranglement et les délais d’approvisionnement ont commencé à se réduire, la hausse des taux finit par peser sur des secteurs d’activité, la demande des ménages devrait également se normaliser du fait d’une épargne qui diminue. De ce fait, les entreprises devraient commencer à ralentir la hausse des prix de vente. Cette analyse vaut principalement pour les Etats-Unis. En Europe, la crise énergétique alimente une inflation supplémentaire alors que les pertes de pouvoir d’achat pèsent davantage sur la demande. Les pays émergents importateurs de matières premières agricoles ou énergétiques sont dans une situation analogue.

Pour faire refluer l’inflation, la FED n’a pas d’autre choix que de faire baisser la demande et les tensions sur le marché du travail. C’est pourquoi elle refuse de baisser la garde trop tôt et annonce

 

au contraire que ses taux ne baisseront pas avant la fin de l’année 2023. Bien sûr, cette posture peut changer à tout moment quand l’économie aura suffisamment réagi et ralenti, ce qui serait un gage que le recul de l’inflation peut s’amplifier. En résumé, la FED n’a pas terminé sa mission et il est vain de vouloir l’anticiper trop tôt. Les investisseurs semblent l’avoir compris et leurs attentes se sont calées sur celles de la FED ce qui est un point positif. En Europe, la situation est plus difficile et les tendances récessives en œuvre sont plus fortes, c’est pourquoi un durcissement monétaire moins prononcé y est attendu, sauf au Royaume-Uni.

Le risque géopolitique s’est accru en quelques semaines. Le taux de remplissage des réserves de gaz ayant atteint 90% en Europe, cela laissait entrevoir un hiver moins compliqué sur le plan des approvisionnements. La contre-offensive de l’Ukraine redonnait l’espoir d’une issue plus rapide du conflit. Malheureusement, la fuite en avant de Poutine a continué avec le recours à la mobilisation de 300 000 hommes puis l’annexion officielle de 20% du territoire ukrainien, ce qui n’arrêtera pas l’armée ukrainienne. Le recours à l’arme nucléaire tactique ne serait pas une fatalité aux dires des spécialistes car la Chine y serait opposée. Mais la Russie semble avoir adopté une tactique supplémentaire. Le sabotage des gazoducs Nordstream pourrait être interprété comme un nouvel axe de conflit avec l’Occident qui conduirait à la destruction ou au piratage d’infrastructures électriques ou de télécommunications. Par ailleurs, l’Europe devrait mettre en place prochainement des restrictions sur les exportations de pétrole russe en interdisant le recours aux navires et aux compagnies d’assurances européens. Or, ceux-ci couvrent 85% des exportations de pétrole russe sans alternative possible à court terme. Si cela permet de réduire les rentrées de devises dont la Russie a besoin pour financer sa guerre, cela baissera également l’offre mondiale de pétrole. Comme l’OPEP vient de décider de réduire ses quotas de production de 2 millions de barils/jour, la baisse si bienvenue du prix du pétrole pourrait de ne pas durer. Enfin, les tensions avec la Chine, la Corée du Nord ou l’Iran ne semblent pas s’atténuer non plus.

Une certaine forme de risque politique a fait également son retour. La victoire de l’alliance des droites en Italie a propulsé Mme Meloni, une démagogue populiste, au poste de Président du Conseil. Eu égard aux précédents en Grèce ou en Italie, les investisseurs sont restés stoïques compte tenu de l’absence de mesures anti-européennes dans son programme mais aussi du garde-fou que constitue la Commission Européenne contre des dérives budgétaires trop laxistes. Il n’empêche que l’Italie vient s’ajouter à la Hongrie, à la Pologne, à la Suède et la diffusion du populisme se poursuit, ce qui ne facilitera pas les futures négociations au sein de l’Union européenne.

Venons-en au Royaume-Uni qui a dû affronter la disparition d’Elizabeth II, la nomination de Liz Truss en remplacement de Boris Johnson et surtout un projet de budget qui a ébranlé le marché des obligations britanniques, obligeant la banque d’Angleterre à jouer les pompiers de service. L’affaire n’est pas anodine car elle a contribué à une montée les taux d’intérêt dans tous les pays occidentaux. En résumé, le budget proposé réduisait les impôts et augmentait les dépenses de soutien (ce qui était déjà de notoriété publique). Son financement était assuré par un recours plus important que prévu à l’emprunt alors que, par ailleurs, la Banque d’Angleterre annonçait son « Quantitative Tightening » (le QT est l’inverse du QE) par lequel elle allait revendre des emprunts d’Etat ou en réduire sa détention. Plus d’offre d’emprunt par l’Etat et moins de demande par la Banque d’Angleterre ne pouvaient qu’entrainer une violente réaction de hausse des taux, au point que la BoE a dû intervenir pour calmer le jeu et assurer la stabilité financière du pays. Cet épisode est révélateur. Il nous montre qu’au niveau d’endettement atteint par les Etats occidentaux, l’adéquation des politiques monétaires et des politiques budgétaires devient cruciale. Le recours à l’endettement sans fin des Etats a peut-être atteint ses limites dans la période d’inflation que nous connaissons. Et si un Gouvernement veut passer outre, alors il doit s’assurer que la Banque Centrale financera son déficit au risque d’accentuer l’inflation en retour…De manière générale, cela nous rappelle aussi que les durcissements monétaires excessifs peuvent entrainer une déstabilisation de la sphère financière sous forme de faillites ou de hausse des conditions de financement des entreprises. L’incident britannique doit certainement être médité au sein de la FED qui durcira prochainement son propre « QT ».

Face à ses différents constats, que penser de la situation des marchés financiers ? Ils restent instables car le repli de l’inflation n’est pas encore assuré et l’environnement global est incertain. Les taux longs restent en tendance haussière et, inversement, les indices actions en tendance baissière.

 

Néanmoins, au vu des anticipations de taux terminal de la FED (4.5%) et du niveau des taux longs (4%), les marchés obligataires peuvent sans doute opérer une pause à l’approche des chiffres d’inflation américains, le 13 octobre prochain, d’autant que les signaux de ralentissement de celle-ci se mettent en place. Par ailleurs, les niveaux de taux actuels semblent redonner de l’attrait aux emprunts d’Etat américains. Les marchés obligataires européens étant alignés sur les marchés américains, le niveau équivalent pour les emprunts allemands serait d’environ 2.50%.

Concernant les marchés actions, nous pouvons relever quelques points positifs à court terme. Si les taux longs se stabilisent, cela aidera les actions dont les valorisations sont redevenues très acceptables au vu de leur PER. L’ampleur de leur baisse intègre déjà en grande partie le risque de récession ou de contraction des bénéfices. Cette remarque est particulièrement appropriée aux valeurs européennes et aux sociétés les plus cycliques. Comme au mois de juillet, la prochaine période de publications des résultats trimestriels pourrait contribuer à alimenter une reprise technique de quelques semaines faisant suite au repli opéré depuis mi-août.

Cependant, il parait prématuré de considérer que le marché baissier est arrivé à son terme pour plusieurs raisons. Les indices actions n’ont pas encore connu de phase caractéristique de liquidation associée à une très forte poussée de la volatilité. Les analystes financiers n’ont pas suffisamment abaissé les estimations bénéficiaires des entreprises pour prendre en compte l’impact d’une récession ou d’un fort ralentissement.

Quelles seraient les conditions supplémentaires pour assurer la reprise durable d’une tendance haussière ?

1/ Le retour de la confiance avec une inflation qui serait maitrisée assurant la fin des durcissements monétaires,

2/ La remontée des estimations de bénéfices signalant la fin du ralentissement économique,

3/ Des valorisations plus basses et une baisse des indices d’environ 30% depuis leur point haut,

4/ Pour les actions européennes, une réduction du risque géopolitique.

 

En conclusion, l’environnement encore incertain nous incite à rester prudent. La baisse des indices actions n’est sans doute pas terminée mais le potentiel de repli supplémentaire s’est réduit. A court terme, des reprises techniques restent envisagées. Si les Etats-Unis semblent mieux armés pour résister au risque de récession, les actions américaines sont plus chères alors que les cours de nombreuses actions européennes semblent bien refléter les risques encourus.

Nous avons sensiblement réduit nos objectifs de fin d’année pour tous les indices actions. Nous attendons toujours un rebond sensible des marchés actions en 2023 une fois les durcissements monétaires achevés. Par rapport aux cours actuels, le potentiel de hausse des indices européens et américains est de 5 et 10% à fin décembre et 15 à 20% à fin juin prochain. Toutefois, notre degré de conviction est un peu affaibli par le contexte actuel…

Nous estimons qu’il est toujours trop tôt pour remonter les niveaux d’investissement en actions des portefeuilles. Nous renouvelons notre conseil de profiter des épisodes de volatilité pour continuer à acheter des actions pour les portefeuilles très peu investis.

Nous avons légèrement modifié nos opinions sur les actions. A court terme, nous avons relevé notre opinion sur les actions européennes à Neutre. Nous conservons nos opinions Surpondérer à moyen terme sur les valeurs américaines et européennes et Neutre sur les autres zones géographiques, à l’exception de l’Europe de l’Est (Russie) que nous sous-pondérons à court et moyen terme.

La forte baisse des Bourses européennes n’a pas modifié significativement les tendances sectorielles relatives. De ce fait, nous n’avons opéré que deux changements dans nos recommandations en abaissant à Sous-pondérer les secteurs Télécommunications et Services Publics.

 

Nous conservons une opinion Sous-pondérer à court et à moyen terme sur les produits obligataires. A court terme, nous avons relevé à Neutre les emprunts d’Etat européens les mieux notés, au même titre que les emprunts américains ou émergents.

 

Lors de notre dernier Comité d’Allocation d’Actifs de fin septembre, nous avons légèrement relevé notre exposition en actions aux Etats-Unis et en Europe, tout en restant en position neutre. Nous avons abaissé parallèlement le poids des produits de taux en relevant celui des emprunts d’Etat et en réduisant ceux du Crédit, des produits Inflation et de multi-stratégie obligataire.

Vincent GUENZI

Directeur de la Stratégie d’Investissement

Achevé de rédiger le 7 octobre 2022.