La stratégie d'investissement

septembre 2023

Faut-il se méfier de l’eau qui dort ? Le calme des marchés financiers peut être trompeur.

Après un été jugé relativement calme sur les marchés financiers et marqué par plusieurs surprises, il est toujours aussi difficile de se projeter dans les prochains mois en termes de perspectives économiques et d’évolutions boursières. Cette incertitude qui se prolonge explique en partie l’absence de tendance claire des Bourses depuis plusieurs mois. La conjoncture économique récente montre une divergence extrême entre les continents et les pays. L’atonie qui touche l’Europe ou la Chine n’est pas un mystère. Quant à la résilience américaine, si elle peut s’expliquer, elle devra faire face à des obstacles qui commencent à se dresser. Récession, ralentissement ou poursuite de la croissance, tout semble possible. Une forte désinflation a eu lieu, mais sa poursuite sera plus compliquée, ce qui a amené les deux grands banquiers centraux à maintenir une posture rigoureuse lors du très attendu symposium de Jackson Hole. Le contexte de l’été a été propice à une remontée des taux d’intérêt à court et long terme mais celle-ci semble proche de son terme comme celle des taux directeurs des principales Banques Centrales. Ce cadre général nous conduit à maintenir une certaine prudence dans nos recommandations, restant très légèrement sous pondérés en actions et conservant des produits monétaires aux côtés de quelques produits obligataires. Les indices nous semblent présenter un potentiel de hausse limité et un risque de baisse de 5 à 10% d’ici à la fin de l’année même si ce scénario pourrait être encore repoussé dans le temps. Cela justifie de ne toujours pas augmenter uniformément le poids des actions dans les portefeuilles et d’attendre de meilleures opportunités pour le faire.


Contrairement aux craintes habituelles, l’été s’est avéré calme sur les marchés financiers. Les amplitudes des cours de bourse ont été assez limitées. Les actions américaines et japonaises ont augmenté légèrement leur avance alors que les actions européennes et émergentes ont été à la peine. Sur les marchés obligataires, les variations absolues ont été faibles également.

Ce calme apparent provient certainement d’une certaine torpeur estivale mais surtout du maintien de facteurs favorables dont le principal est la désinflation. Celle-ci se poursuit globalement mais de manière inégale. La forte baisse passée des prix des matières premières et de l’énergie ne produit plus ses effets. Mais, parallèlement, les sources de tension qui pesaient par ailleurs (difficulté de recruter, hausse des salaires, difficulté d’approvisionnement) continuent à s’apaiser. Ainsi, dans certains pays, l’inflation, globale ou de base, ne baisse plus. C’est bien l’illustration qu’après son très fort repli initial, celui-ci sera plus lent et moins régulier. Autre facteur, la résilience de l’économie américaine a perduré, le léger fléchissement de juin étant de courte durée. Enfin, l’abondance des liquidités mondiales poursuit son rôle d’amortisseur et de stabilisateur sur les marchés financiers, notamment dans les pays dont l’activité est restée mal orientée comme en zone euro ou en Chine.

Pourtant, plusieurs surprises auraient pu troubler cette quiétude. Ainsi, la dégradation de la note souveraine des emprunts de l’Etat américain par l’agence Fitch à AA+ et l’abaissement des notations de grandes banques américaines par Moody’s et Standard and Poor’s n’ont pas entrainé de stress particulier; l’annonce d’une taxation des « superprofits » des banques italiennes, vite adoucie, non plus.

L’inflexion de la politique monétaire de la Banque du Japon, qui a élargi les marges de fluctuation autorisées des taux d’intérêt à 10 ans, n’a heureusement pas été perçue comme le signal d’une prochaine remontée de ses taux directeurs.

La saison des publications des résultats des entreprises du 2ème trimestre s’est avérée une fois encore meilleure qu’attendue, mais elle fut assortie de commentaires parfois prudents et, surtout, les cours des actions ont moins réagi de manière positive, montrant que les bonnes surprises étaient déjà anticipées et intégrées dans les cours.

Si les statistiques économiques américaines ont été de bonne facture, ce ne fut pas le cas en Chine, où la conjonction d’une crise immobilière et d’un chômage important continue à peser sur la consommation alors que le commerce extérieur souffre également. Surtout, les attentes de la part des investisseurs de mesures de relance d’ampleur ont été déçues. Certes, les Autorités ont assoupli les conditions de crédit et certains taux d’intérêt pour contenir les faillites des promoteurs immobiliers et la baisse des prix des biens, mais ces dispositions ont été jugées trop faibles pour relancer l’économie chinoise. Par effet d‘entrainement, les perspectives des sociétés exportatrices européennes et des économies de la zone se sont encore assombries.

 

De plus, les taux obligataires américains ont connu un sursaut prononcé, revenant à leur plus haut niveau des douze derniers mois, ce qui aurait pu provoquer une baisse des actions américaines de 10% comme en octobre et en mars dernier. En fait, le repli a été limité à 5% pour plusieurs raisons. La remontée des taux ne reflétait pas des anticipations de durcissement monétaire ou de reprise de l’inflation mais plutôt un réajustement du scénario économique en hausse, le risque de récession ou de ralentissement prochain s’éloignant du fait de la résilience de l’activité. Cette amélioration des perspectives, favorable aux entreprises et aux actions, a compensé l’effet négatif du rebond des taux sur la valorisation de ces dernières.

Enfin, lors du symposium des banquiers centraux de Jackson Hole en août, les dirigeants de la FED et de la BCE ont réitéré leur position rigoureuse et prudente face à l’inflation, pour les mêmes raisons que celles exposées ici. De nouvelles hausses des taux directeurs sont possibles, leur baisse attendra que l’inflation revienne en vue des 2%, ce qui peut prendre plusieurs trimestres. Ces annonces auraient pu entrainer également du stress sur les taux et les actions. Mais comme le reflux de l’inflation a été saluée, que la FED restera souple et qu’elle s’adaptera aux évolutions économiques, les marchés ont vu le verre à moitié plein et s’attendent toujours à un assouplissement plus rapide que celui envisagé par les Banques Centrales. La correction sur les actions a donc été endiguée et les taux longs ont légèrement reculé dans la foulée.

 

Nous restons donc en plein paradoxe, coincés entre des scénarios économiques et financiers qui peuvent changer à tout moment. A nos yeux , le risque principal serait la disparition des nombreux facteurs positifs qui ont contribué à la résilience de l’activité américaine jusqu’à présent. Or certains commencent à s’atténuer comme la désinflation qui devient plus difficile.

L’épargne excédentaire des ménages, qui leur a permis de dépenser davantage malgré la diminution de leur pouvoir d’achat et la hausse des taux, a été utilisée aux trois-quarts et serait consommée en totalité d’ici un trimestre. Par ailleurs la capacité mensuelle d’épargne nouvelle (différence entre consommation et revenu) s’est réduite, limitant dorénavant la hausse de la consommation à celle des revenus. En cas de ralentissement de l’activité et de hausse du chômage, la consommation des ménages ne pourra plus résister.

Le durcissement des conditions financières (taux d’intérêt nominaux et réels, spread obligataires, réduction des liquidités) dont l’effet a été retardé, va peser plus fortement (sur le secteur immobilier, sur les capacités d’investissement) tant que la FED maintiendra sa politique restrictive.

Jusqu’à présent, le dynamisme du marché du travail a alimenté une baisse du chômage et des gains salariaux. Or, des signes de normalisation sont visibles comme les créations d’emploi mensuelles dont la tendance s’affaiblit. Le nombre de postes vacants se réduit également de même que les intentions d’embauche dans une moindre mesure.

Si la conjoncture américaine, a été relativement soutenue, de nombreuses enquêtes et indicateurs avancés pointent toujours vers un ralentissement. Ainsi, l’écart négatif entre les taux à 3 mois et à 10 ans, qui a systématiquement précédé une récession aux Etats-Unis.

Du côté des entreprises traditionnelles, les conditions deviennent plus difficiles avec moins de facilité à augmenter les prix et à maintenir leurs marges alors que la croissance des volumes a ralenti. Les très grands groupes novateurs ou du secteur des technologies ne subissent pas encore cette contrainte et bénéficient souvent des confortables produits financiers de leur importante trésorerie. Mais, en dehors de ces groupes, il faut noter que le nombre de faillites d’entreprises de taille moyenne a déjà beaucoup augmenté.

Cette lente dégradation n’entame pas la confiance des investisseurs et les marchés font probablement preuve de complaisance, ne retenant que le scénario le plus favorable, celui d’une désinflation qui se poursuit et d’une activité qui mollit doucement, amenant la FED à stabiliser ses taux puis à les réduire plus rapidement. Cette confiance se traduit par une cherté des actions en absolu et en relatif face aux obligations, ce qui augmente le risque en cas de déception.

Tout ceci nous conduit à maintenir une certaine prudence dans nos recommandations, restant très légèrement sous pondérés en actions et conservant des produits monétaires aux côtés de quelques produits obligataires.

 

Nous n’avons pas modifié nos objectifs pour les indices actions à fin décembre et fin juin 24 (à part un relèvement pour le Nikkei). Les indices nous semblent présenter un potentiel de hausse limité et un risque de baisse de 5 à 10% d’ici à la fin de l’année même si ce scénario pourrait être encore repoussé dans le temps.

Ceci justifie de ne toujours pas augmenter uniformément le poids des actions dans les portefeuilles et d’attendre de meilleures opportunités pour le faire.

Nous restons confiants à moyen terme car la baisse des taux de la FED, qui finira par arriver, pourrait marquer le début d’un nouveau cycle haussier aux Etats-Unis puis en Europe, après un épisode de baisse plus ou moins prononcé.

 

Nous gardons une opinion Neutre à court terme et Surpondérer à moyen terme sur les actions européennes, américaines et japonaises. Nous maintenons également une opinion neutre à court et à moyen terme sur les actions d’Asie et d’Amérique Latine. Dans l’environnement actuel, une approche assez équilibrée entre actions et produits défensifs dans la construction des portefeuilles semble toujours appropriée. De même, une allocation sectorielle assez neutre entre styles et secteurs semble toujours adaptée.

 

Les multiples évolutions boursières au cours de l’été nous ont amenés à changer assez largement nos opinions sectorielles à court terme sans beaucoup modifier les notes à moyen terme. En résumé, les secteurs cycliques et sensibles à la Chine sont moins recherchés. Les secteurs Pétrole & Gaz et Immobilier semblent amorcer un redressement. Quelques secteurs défensifs (Santé, Distribution) sont mieux orientés.

 

Nous maintenons une opinion Neutre à court terme et Sous-pondérer à moyen terme sur les produits obligataires. Les produits de taux conservent une tendance globalement neutre à court terme et légèrement baissière à moyen terme, à l’exception des obligations à haut rendement qui sont mieux orientées. Nous conservons notre opinion sur les Sicav monétaires à Surpondérer, compte tenu de la remontée des rendements offerts.

Lors de notre Comité d’Allocation d’Actifs de fin août, nous avons légèrement augmenté l’exposition en actions (aux USA principalement) pour compenser l’effet de la baisse des cours.

Nous avons légèrement relevé le poids des produits de taux (multi-stratégies) tout en abaissant celui des liquidités et des produits inflation.

 

Vincent GUENZI
Directeur de la Stratégie d’Investissement

Achevé de rédiger le 7 septembre 2023.