La stratégie d'investissement

décembre 2023

Ample rebond des marchés en anticipation d’un atterrissage en douceur de l’activité.

Les marchés actions ont retrouvé en six semaines de hausse les niveaux de cours atteints au printemps en Europe ou cet été aux Etats-Unis. Il en est de même avec les taux d’intérêt à long terme. Ce retour à la case départ est-il convaincant ? Que s’est-il passé ? C’est le recul prononcé de l’inflation qui a permis le grand retour du scénario de ralentissement économique réussi sans douleur, scénario que jouaient déjà les marchés en juillet à tort. Doit-on craindre un bis repetita, c’est-à-dire une nouvelle erreur d’anticipation des marchés et des investisseurs ? Après un tel parcours, la question est légitime. Les principales déconvenues peuvent venir de l’inflation, des politiques monétaires ou de la croissance économique. Or, il nous semble dangereux d’exclure le scénario d’une récession modérée pendant quelques trimestres. Celui-ci peut encore tarder à se concrétiser comme ce fut le cas cette année, mais les indicateurs avancés le prévoient encore pour le courant du premier semestre 2024. Deux scénarios assez probables coexistent, celui du soft-landing réussi, joué majoritairement en ce moment et celui du ralentissement plus prononcé que l’on ne peut pas encore écarter. Le comportement récent des investisseurs pourrait conduire à une poursuite du mouvement de reprise des marchés financiers tant qu’aucune déconvenue n’apparait… Cependant, d’autres facteurs devraient entraver et limiter leur progression. En résumé, aux niveaux actuels, nous restons circonspects sur le potentiel d’appréciation à court terme des indices actions et sur une baisse supplémentaire des taux longs. Le contexte nous semble trop aléatoire pour acheter maintenant. Les indices dépasseront sans doute nos prévisions en fin d’année et en début d’année prochaine. Mais nous les avons abaissées pour juin 2024 car un retour en arrière de 10% est assez probable au cours du 1er semestre. Nous sommes plus confiants pour le 2ème semestre. Nous continuerons de renforcer le poids des actions et des produits de taux dans les portefeuilles peu investis si des opportunités se présentent.

 

 

Comme une impression de déjà-vu. Les marchés actions ont retrouvé en six semaines de hausse les niveaux de cours atteints au printemps en Europe ou cet été aux Etats-Unis. Il en est de même avec les taux d’intérêt à long terme. Ils ont ainsi effacé environ six mois de baisse des actions en Europe (-10%) et six mois de remontée des taux longs (de 2.2% à 3% pour les taux allemands). Aux Etats-Unis, la baisse des actions avait duré 3 mois (-10%) et les taux longs étaient passés de 4% à 5%. Ce retour à la case départ est-il convaincant ?

 

Que s’est-il passé ? Depuis deux mois, le recul de l’inflation américaine a repris en s’accélérant (de 3.7% à 3.2%) sous l’impact de la modération des prix alimentaires et énergétiques. Hormis ces deux composantes, le repli a été plus régulier mais aussi plus graduel (de 4.4% à 4%). Comme les statistiques économiques pointent toujours en direction d’un affaiblissement de l’activité avec un apaisement des tensions notamment sur le marché de l’emploi, il est facile et tentant d’anticiper une poursuite de la désinflation à un rythme soutenu qui permettra à la FED de baisser ses taux sans attendre des signaux avant-coureurs d’un ralentissement plus prononcé. C’est le grand retour du scénario de soft landing réussi sans douleur, scénario que jouaient déjà les marchés en juillet…à tort. En effet, à l’époque, l’inflation a connu un sursaut qui a poussé la FED à remonter ses taux plus que prévu à 5.50% fin juillet.

 

A quelques petites différences près, le même phénomène s’est produit en Europe. La hausse des taux de la BCE, qui avait été plus tardive et moins forte, s’est arrêtée en septembre à 4%. Depuis six mois, l’inflation globale a baissé plus qu’aux Etats-Unis (de 6% à 2.4%) compte tenu d’un recul plus fort des prix alimentaires et énergétiques. L’inflation de base est maintenant assez similaire (3.6%). C’est la situation économique qui est très différente puisque l’Europe flirte avec la récession depuis un an malgré une petite amélioration au 1er semestre, la consommation et la production industrielle étant en berne. Aux Etats-Unis, l’activité a été beaucoup plus résiliente grâce à la consommation des ménages, toujours soutenue, et aux plans de soutien à l’investissement industriel (loi IRA). Le dynamisme traditionnel des méga-entreprises américaines a fait le reste.

 

Doit-on craindre un bis repetita, c’est-à-dire une nouvelle erreur d’anticipation des marchés et des investisseurs ? Après un tel parcours, la question est légitime. Les principales déconvenues peuvent venir de l’inflation, des politiques monétaires ou de la croissance économique.

 

Concernant l’inflation, son repli se poursuivra sans aucun doute mais on peut appréhender soit un nouveau sursaut ponctuel (les bases de comparaison étant moins favorables) soit un rythme de décrue plus faible pour l’inflation de base, toujours trop élevée, à cause de pressions salariales encore vives pendant quelques temps.

Si cette deuxième hypothèse se réalise, les anticipations d’assouplissement monétaires peuvent voler en éclat, sans compter la possibilité d’une dernière hausse des taux inattendue qui semble de moins en moins probable. Aujourd’hui, les marchés attendent une baisse des taux de la FED de 1.25% et de 0.75% pour la BCE avec un premier mouvement américain vers la fin du premier trimestre 2024. Si les Banques centrales se sont montrées récemment plus confiantes dans leur combat face à l’inflation, elles se gardent bien de prévoir un tel assouplissement monétaire aussi rapide. Inversement, elles sont indéniablement dans une position plus favorable aujourd’hui pour baisser les taux si l’activité montrait des signes de faiblesse plus importants.

L’avenir de la croissance américaine semble être en effet le risque principal. Tous les facteurs qui ont permis la résilience américaine sont en train de s’atténuer. C’est le cas de l’épargne excédentaire des ménages qui aura totalement disparu d’ici quelques mois. Le soutien budgétaire sera également moins important compte tenu du niveau atteint par les déficits et les dettes publiques. L’impact du renchérissement du crédit ne fait que commencer pour les ménages (pour l’immobilier et les achats à crédit) et pour les entreprises qui devront renouveler des emprunts arrivant à échéance (plus rapidement aux Etats-Unis qu’en Europe). Le financement des entreprises restera couteux et difficile ce qui pèsera sur les nouveaux investissements. La modération de l’activité et la disparition d’entreprises fragilisées pourraient naturellement entrainer une remontée du taux de chômage ce qui réduira la hausse des revenus des ménages et la consommation par contrecoup. C’est l’enchainement mécanique qui a toujours suivi, à de rares exceptions près, les phases de forte remontée des taux d’intérêt aux Etats-Unis. Peut-on éviter cet engrenage ? Certains l’espèrent grâce à une action préemptive de la FED. Mais attention, la FED se gardera d’intervenir si elle pense que cela peut ralentir trop tôt le processus de désinflation qu’elle ambitionne. D’autres pensent que la désinflation va redonner du pouvoir d’achat ce qui compensera la baisse de l’épargne. Ce n’est pas évident car une désinflation n’est pas une baisse des prix et les hausses de salaires devraient également s’apaiser. L’analyse faite de la situation américaine vaut aussi bien pour l’Europe où les risques d’accentuation de la stagnation sont bien présents. Un soutien éventuel pourrait provenir d’une politique de relance massive en Chine qui soutiendraient les exportations européennes, mais pour l’instant, même si elles en auraient les moyens, les Autorités semblent peu enclines à le faire, leur préoccupation principale restant la dégradation de leur marché immobilier.

En conclusion, il nous semble dangereux d’exclure le scénario d’une récession modérée pendant quelques trimestres. Celui-ci peut encore tarder à se concrétiser comme ce fut le cas cette année, mais les indicateurs avancés le prévoient toujours pour le courant du premier semestre 2024. Une fois encore, il y a coexistence de deux scénarios assez probables, celui du soft-landing réussi, joué majoritairement en ce moment et celui du ralentissement plus prononcé que l’on ne peut pas écarter dès à présent. Le comportement récent des investisseurs pourrait conduire à une poursuite du mouvement de reprise des marchés financiers tant qu’aucune déconvenue n’apparait… Cependant, d’autres facteurs devraient entraver et limiter leur progression.

 

Concernant les taux à long terme, les niveaux atteints récemment (4.15% aux Etats-Unis et 2.20% en Allemagne) sont proches des anticipations de taux de la FED à fin 2024 (4.25%) ou en dessous pour la BCE (3.25%) ce qui semble peu compatible avec un ralentissement économique réussi en douceur mais plutôt avec un ralentissement plus fort, ce qui n’est pas attendu par les investisseurs en actions. Qui a raison ? Les taux longs nous semblent avoir baissé beaucoup trop, du fait de mouvements très spéculatifs. De plus, les importants besoins de financement du Trésor américain pourraient amener les acheteurs à exiger des rendements plus rémunérateurs alors que la FED continuera à réduire ses achats. Une remontée des taux longs d’au moins 0.50% nous semble donc tout à fait possible aux Etats-Unis et en Europe par effet d’entrainement et elle aurait probablement un effet inverse sur les actions.

Concernant les actions, celles-ci semblent devenues un peu chères, particulièrement aux Etats-Unis où les PER 2023 et 2024 sont revenus à leurs niveaux du mois de juillet. Par ailleurs, la prime de risque par rapport aux emprunts d’Etat a fondu et ne protège plus les actions d’une remontée des taux longs. De plus, comme nous l’avons déjà signalé, la forte amélioration des marges des entreprises devrait s’arrêter ou s’inverser compte tenu de volumes de ventes moins soutenus et d’une moindre capacité à augmenter les prix. Les estimations de bénéfices pour 2024 sont attendues en hausse de 11.7% ce qui semble excessif par rapport à la prévision de croissance annuelle du PIB (+1.2%) et compte tenu d’une possible érosion des marges. En Europe, les PER se sont redressés mais sont restés plus sages. Quant aux estimations de bénéfices pour 2024, elles sont attendues en hausse de 6.4%, ce qui semble plus raisonnable, mais la croissance économique n’atteindra que 0.6% et l’évolution des marges sera en risque également. Les abaissements des prévisions de résultats en Europe et aux Etats-Unis peuvent continuer même si l’activité ne s’effondre pas.

Le retour d’une volatilité plus importante pourrait marquer l’année 2024 et perturber les marchés. Cette volatilité sera alimentée au premier chef par les évolutions de la conjoncture, de l’inflation et de la politique monétaire. Les facteurs géopolitiques pourront également la renforcer. Le soutien occidental à l’Ukraine semble devenir moins consensuel aux Etats-Unis, premier donateur, et l’issue du conflit reste très incertaine. La guerre au Moyen -Orient n’a pas affecté les marchés en 2023 mais reste un risque à considérer via les cours du pétrole. En Europe, les élections au Parlement verront probablement une poussée des partis nationalistes, après leur succès en Italie et plus récemment, en Slovaquie, en Suède, en Finlande et aux Pays-Bas. Enfin, le président américain sera élu en novembre prochain et le programme du candidat républicain actuel, Donald Trump, semble encore plus radical que son précédent.

 

En résumé, aux niveaux actuels, nous restons circonspects sur le potentiel d’appréciation à court terme des indices actions et sur une baisse supplémentaire des taux longs. Il est possible que la hausse des actions se poursuivre encore quelques mois mais cela nous semble trop aléatoire pour acheter maintenant. Nous continuerons de renforcer le poids des actions et des produits de taux dans les portefeuilles peu investis si des opportunités se présentent.

Les indices dépasseront sans doute nos prévisions en fin d’année et en début d’année prochaine. Mais nous les avons abaissées pour juin 2024 car un retour en arrière de 10% est assez probable au cours du 1er semestre. Nous sommes plus confiants pour le 2ème semestre.

Le contexte général nous conduit donc à maintenir une certaine prudence dans nos recommandations. Aux niveaux actuels des marchés, nous adoptons une position Neutre à moyen terme et maintenons celle-ci à court terme. Nous restons plus confiants à moyen terme sur les actions américaines mais dégradons à Neutre les actions japonaises.

 

Nous maintenons notre opinion Neutre à court et moyen terme sur les produits obligataires. Nous relevons à surpondérer notre note sur le Crédit européen de qualité. Compte tenu de l’amélioration des tendances des emprunts d’Etat, nous serions prêts à remonter nos notes en cas de prises de bénéfices sur ce compartiment. Nous guettons des niveaux de l’ordre de 4.50/4.75% aux Etats-Unis et de 2.50/2.75% en Allemagne pour l’envisager. Enfin, nous avons relevé notre recommandation sur l’Or à Surpondérer à moyen terme.

 

Lors de notre Comité d’Allocation d’Actifs de fin novembre, nous avons baissé l’exposition en actions, sur toutes les zones. Nous avons augmenté le poids des produits de taux et abaissé celui des liquidités (sicav monétaire).

Vincent Guenzi

Directeur de la Stratégie d’Investissement

Achevé de rédiger le 8 décembre en collaboration avec Dorian FOULON