La stratégie d'investissement

mars 2020

Les marchés ont-ils suffisamment baissé pour intégrer le ralentissement économique ?

Après avoir bien résisté au développement de l’épidémie de Coronavirus en Chine, les marchés actions internationaux ont progressé pendant quelques semaines avant qu’une vague de peur ne les submerge à l’annonce de la propagation de l’épidémie hors du pays. Les révisions drastiques des scénarios économiques et financiers des investisseurs ont provoqué une correction brutale des indices à l’image de celle que les indices chinois avaient connue fin janvier/début février. Si le rythme de diffusion du virus à l’échelle mondiale suit la même évolution qu’en Chine, l’incertitude devrait durer encore quelques semaines. Dans cette période, la stabilisation des marchés reste fragile et ceux-ci pourraient connaitre d’amples fluctuations tout en restant dans les limites déjà atteintes. La période d’attentisme qui s’annonce permettra de continuer à renforcer progressivement le poids des actions pour anticiper la reprise de l’activité.


Après avoir bien résisté au développement en Chine de l’épidémie de coronavirus, les marchés actions internationaux ont progressé pendant quelques semaines. 
Les mesures radicales prises par les Autorités chinoises pour contenir la contagion ont aidé les investisseurs à attendre les premiers signes d’essoufflement de celle-ci. De plus, les mesures de soutien annoncées ont permis d’espérer un rétablissement de l’économie dans un délai assez rapide. Les indices boursiers chinois ont ainsi regagné une bonne partie du terrain perdu (15% en moyenne).

Parallèlement, aux Etats-Unis et en Europe, la baisse des indices avait été beaucoup moins forte grâce à des facteurs spécifiques que nous avions explicités le mois dernier (anticipation de reprise de l’activité, bons résultats publiés par les entreprises, baisse des taux longs entretenue par des espoirs de réduction des taux de la Fed,…). En février, comme les indices chinois, les actions des pays développés ont entamé un rebond qui s’est poursuivi durant quelques semaines. De nombreux indices ont établi des records historiques et retrouvaient des niveaux de valorisation parfois plus élevés qu’en janvier alors que dans le même temps, les matières premières continuaient à baisser tout comme les taux longs. Ces derniers anticipaient un ralentissement plus prononcé que les actions.

 

Aussià l’annonce de la diffusion plus forte de l’épidémie hors de Chine, une vague de peur a submergé les marchés. A mesure que l’on commençait à pouvoir chiffrer plus précisément la durée et l’ampleur des pertes d’activité en Chine, le risque que des phénomènes identiques touchent successivement de nombreux pays a alimenté des révisions drastiques des scénarios économiques et financiers des investisseurs. Ainsi, au premier trimestre, la croissance serait assez négative en Chine et chez ses voisins. Le ralentissement induit en Europe et aux Etats-Unis serait plus proche de 0.5% que de 0.1 ou 0.2%, pouvant entrainer également un trimestre de croissance négative dans certains pays européens. Dans ces conditions, la croissance des résultats attendue (7 à 9%) pour 2020 paraissait beaucoup trop forte.

L’impact de ce brutal retournement d’anticipations a été immédiat. En un temps record d’une semaine, les indices boursiers ont dévissé fin février pour perdre jusqu’à près de 15% par rapport au plus haut niveau atteint au cours du mois. Les baisses en un mois sont comprises entre 8% et 10% aux Etats-Unis ou en Europe. Les Bourses émergentes d’Asie, qui avaient baissé davantage en janvier, ont beaucoup mieux résisté.

Il est vrai que les nouvelles en provenance de Corée du Sud, d’Italie ou d’Iran n’étaient pas réconfortantes et anxiogènes. Il est vrai aussi que des phénomènes techniques d’amplification des tendances ont eu lieu sur les marchés financiers, comme en janvier 2018 ou au dernier trimestre de cette même année.

Les marchés ont-ils suffisamment baissé pour intégrer le ralentissement économique ?

Sur le plan sanitaire, le déroulement de l’épidémie en Chine semble suivre les scénarios modérés avec un début de recul du nombre de personnes infectées environ 6 semaines après la phase d’accélération. La reprise de l’activité, qui intervient progressivement, pourrait toutefois relancer sporadiquement la contagion. En Corée, l’épidémie semble suivre la même trajectoire dans des délais assez proches. Il est bien trop tôt pour constater la même chose en Europe et a fortiori aux Etats-Unis. Le point négatif est la vitesse à laquelle le virus peut se transmettre à de nombreuses personnes. Le point positif est que les Autorités peuvent réagir plus rapidement qu’en Chine avec les mêmes moyens de confinement et des systèmes de santé peut-être plus efficaces.

Le pic de personnes infectées dans le Monde ne sera pas atteint avant 4 à 6 semaines. Mais les investisseurs regarderont l’évolution du rythme de progression. Les marchés chinois ont entamé leur rebond une semaine avant que celui-ci débute son reflux. Un déroulement similaire dans le reste du Monde parait envisageable. Un scénario plus défavorable serait une recrudescence de la contagion par retour de boomerang d’un pays voisin d’un pays qui a déjà été touché.

Sur le plan économique, l’activité chinoise sera en forte contraction au 1er trimestre, suivi d’une normalisation au 2ème et d’un rattrapage prononcé au 2nd semestre. La croissance annuelle pourrait s’établir vers 4% au lieu des 6% prévus. En Europe et aux Etats-Unis, dont l’activité est restée peu touchée, le point bas serait plutôt atteint au 2ème trimestre mais le ralentissement global serait moins prononcé compte tenu des spécificités de ces zones. Des interruptions de livraison en provenance de Chine sont attendues d’ici quelques semaines et des mesures de chômage technique interviendront certainement dans l’industrie. Au total, une croissance mondiale comprise entre 2% et 2.5% semble plausible si la propagation du virus reste « normale » et si des plans de soutien budgétaires et monétaires se mettent en place. D’autres baisses de taux interviendront là où elles sont possibles (Etats-Unis, pays émergents, Canada, Australie,…). La rapidité de la réaction de la Fed, qui a baissé ses taux de 0.5% avant son prochain comité est de bonne augure. Si l’Union Européenne ne peut pas voter un plan de relance, des déficits budgétaires accrus seront autorisés comme ce sera le cas en Italie.

Le scénario de ré-accélération modérée de l’activité mondiale cède donc la place à celui d’une croissance moins forte mais pas d’une récession mondiale ou d’une fin du cycle américain. La victoire du candidat démocrate Joe Biden lors des primaires partielles du Super Tuesday le met en première position et réduit le risque de nomination du candidat plus radical Bernie Sanders. Ce facteur potentiellement négatif que nous avions identifié pour 2020 s’atténue quelque peu. A l’inverse, les négociations entre l’UE et le Royaume-Uni pour définir un partenariat s’annoncent compliquées.

Le consensus des analystes financiers a commencé à s’ajuster aux communiqués des entreprises et aux nouvelles hypothèses de croissance. Par  comparaison avec la Chine, il est possible que les indices européens ou américains aient connu leur maximum de baisse si les hypothèses sur la propagation du virus se confirment. En revanche, les marchés n’ont pas intégré un scénario de récession mondiale ou américaine qui aurait été sanctionné par une baisse de 25 à 30% comme en 2015/2016. Cela parait normal mais nous nous gardons de tout excès d’optimisme.

Dans ces conditions, les marchés devraient avoir du mal à remonter aussi rapidement que les indices chinois. Il est plus raisonnable d’anticiper quelques semaines d’incertitude où les fluctuations des marchés seraient encore importantes tout en restant dans les limites déjà atteintes. La constatation du ralentissement de la diffusion du virus au niveau mondial serait un élément positif permettant une reprise plus durable des Bourses. D’ici là, compte tenu du caractère anxiogène de la situation, il ne faut pas exclure totalement une étape de baisse supplémentaire si les marchés voulaient davantage intégrer un scénario de récession américaine par exemple.

 

Les investisseurs ont eu une nouvelle occasion de procéder à des achats à des conditions raisonnables dans une optique de moyen terme. La période d’attentisme qui s’annonce permettra de continuer à renforcer progressivement le poids des actions pour anticiper la reprise de l’activité.

Nous avons légèrement abaissé nos objectifs sur les indices au 30 juin et nous les avons maintenus pour la fin de l’année. Après la baisse de ces derniers jours, le potentiel de hausse à 6 et 12 mois s’est reconstitué. Il atteint 10% à 15%.

Nous maintenons nos recommandations globales sur les actions, Neutre à court terme et Surpondérer à moyen terme. Nous gardons nos préférences à moyen terme pour les Etats-Unis, l’Europe et l’Asie hors Japon. Nous surpondérerons tactiquement les actions américaines au détriment des actions européennes. Nous conservons notre opinion Neutre à court terme et Sous-pondérer à moyen terme sur les produits obligataires. Nous avons relevé les Obligations convertibles européennes à Surpondérer. Parmi les autres produits de taux, nous continuons à préférer les obligations émergentes et le crédit européen à haut rendement.

Lors du Comité d’Allocation d’Actifs de fin février, nous avons remonté le poids des actions, en relevant celui des actions américaines et européennes et émergentes au détriment des actions asiatiques. En contrepartie, nous avons abaissé globalement le poids des produits de taux et des liquidités.

Vincent GUENZI

Directeur de la Stratégie d’Investissement

Achevé de rédiger le 6 mars 2020.