La stratégie d'investissement

mars 2021

Inflation, taux d’intérêt et actions: sommes-nous arrivés à un point de rupture? Non.

Les marchés financiers américains sont versatiles. Il y a deux mois à peine, ceux-ci étaient peu rassurés par la situation sanitaire et réclamaient de nouvelles mesures budgétaires et monétaires pour soutenir l’économie. Aujourd’hui, alors que l’économie américaine semble s’orienter vers une forte reprise grâce à la diffusion des vaccinations, les mêmes acteurs s’inquiètent d’une reprise de l’inflation qui prendrait la FED à contrepied et cette crainte fait remonter rapidement les taux d’intérêt à 10 ans, entrainant à la baisse une partie des marchés actions. Ce mécanisme parfaitement logique se produit à chaque sortie de récession mais généralement de manière beaucoup plus calme et plus lente. L’année 2021 fera-t-elle exception au risque de provoquer l’arrêt de la reprise économique ? Nous ne le pensons pas. La tendance haussière des marchés actions n’est pas terminée. Des phases de volatilité reviendront régulièrement. Mais il ne faut pas confondre ces corrections avec un retournement de tendance qui est peu probable à ce stade du cycle économique et boursier. Il faut continuer à privilégier les actions qui sont plus protectrices que les obligations en phase de remontée des taux d’intérêt. Les périodes de doute doivent être mises à profit pour renforcer le poids des actions. Nous préconisons des portefeuilles investis de manière assez équilibrée entre deux grandes thématiques : valeurs à bonne visibilité ou de croissance et valeurs cycliques, financières ou en retournement. Le potentiel d’appréciation des indices pour la fin de l’année est d’environ 7% en Europe, 10% aux Etats-Unis et au Japon.

Revenons d’abord sur le déroulement du mois de février. Celui-ci a été placé sous le signe d’une amélioration de la situation pandémique mondiale avec une baisse du nombre de cas de contagions. L’évolution a été très variable selon les pays, développés ou non, mais c’est un fait. De même, le lancement des campagnes de vaccination a été lent et très inégal. Le Japon vient juste de commencer et Israël a vacciné presque les 2/3 de sa population ! Cette situation entretient les doutes alors que les progrès sont réels : nouveaux vaccins, efficacité et non-nocivité prouvées et enfin baisse de la pression hospitalière (au Royaume-Uni par exemple). Enfin, le vaccin protège du virus et bloque sa transmission (ce qui est avéré pour celui de Pfizer). Réjouissons-nous de ces bonnes nouvelles et prenons notre mal en patience encore quelques semaines avant de retrouver toutes nos libertés. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait les marchés financiers pendant les deux premières semaines de février. Aidés par des signaux économiques en amélioration (moindre récession au T4 en Europe, relèvement des prévisions de croissance dans le Monde, activité bien orientée aux Etats-Unis, publications par les sociétés de résultats du 4ème trimestre supérieurs aux attentes), convaincus d’un soutien monétaire durable et stimulés par la perspective d’un plan de relance budgétaire de grande ampleur aux Etats-Unis, les Bourses mondiales ont dépassé leurs précédents sommets, absolus ou relatifs, effaçant la baisse temporaire de fin janvier. Dans le même temps, les marchés obligataires prenaient acte de cette normalisation de l’environnement macroéconomique avec une remontée des taux généralisée mais très progressive.

Vers le milieu du mois, une rupture de ce scénario idéal a commencé à être envisagée, sans doute par la conjonction de plusieurs interrogations. Le plan de relance américain n’est-il pas surdimensionné alors que l’activité économique est déjà bien orientée ? un autre plan de relance prévu pour les infrastructures pourrait-il mener à une surchauffe aux Etats-Unis ? l’inflation, qui est naturellement attendue en hausse dans les prochains mois par comparaison avec le bas niveau des prix de l’année dernière, ne pourrait-elle pas s’emballer ? La forte remontée du prix du pétrole et des matières premières n’est-elle pas un signe précurseur ? Face à l’amélioration de la conjoncture et au risque inflationniste, les banques centrales seront-elles obligées de réduire leur soutien monétaire ou de remonter les taux prématurément ? La conséquence de toutes ces interrogations a été une accélération de la hausse des taux à 10 ans américains qui ont dépassé 1.50% avec une contagion en Europe où les taux sont remontés de 0.30% en moyenne. Les indices actions ont bien résisté à ce mouvement grâce à une très forte rotation sectorielle. Les prises de bénéfices sur les valeurs les plus chères et les plus sensibles à la hausse des taux (qui en général avait bien progressé pendant la pandémie) ont été contre balancées par des achats importants de valeurs très en retard et beaucoup moins chères (principalement des valeurs cycliques ou financières). Cette rotation peut-elle durer et empêcher une correction plus franche des indices actions assez bien valorisés. Rappelons-nous du débat de janvier à ce sujet !

Toutes ces questions nécessitent des réponses.

 

Les plans de relance américains peuvent paraitre trop ambitieux mais ils ne sont pas encore votés. Les ménages américains ont accumulé beaucoup d’épargne, comme en Europe, et le retour des libertés de circuler, de consommer et d’entreprendre provoquera certainement une frénésie de consommation. En revanche, comme le dit la FED, le chômage restera élevé, la production industrielle et les services mettront du temps à retrouver leur niveau d’avant crise. Le risque de surchauffe est peu plausible. Il y a bien entendu des goulots d’étranglement et des pénuries (comme dans les semi-conducteurs actuellement). Cela alimente une hausse des prix industriels mais entretient également les effets récessifs (comme l’arrêt des usines automobiles). Cela se produit à chaque sortie de récession. Par ailleurs, des pans entiers de l’économie sont encore sous perfusion. Le risque de surchauffe parait bien loin. Parallèlement, l’inflation hors énergie et alimentation, qui n’a jamais dépassé 1.5% aux Etats-Unis depuis 10 ans et moins en Europe, a peu de chance de se réveiller tant que le chômage resté élevé et que la concurrence mondiale reste vive. C’est pour cela que la FED n’attend pas de retour de l’inflation à 2% avant plusieurs années. Mais elle a du mal à convaincre les opérateurs des marchés. Elle n’est pas la seule. La BCE, la Banque du Japon et d’autres assurent toutes qu’elles maintiendront leur politique monétaire aussi longtemps que nécessaire. Nous avons toujours pensé que les Banques Centrales limiteraient la hausse des taux longs, très dommageable pour les économies et pour les Etats endettés mais pour l’instant, elles n’interviennent pas en ce sens laissant le champ libre aux spéculations. Elles disposent pourtant de tous les outils pour le faire et devront les utiliser si nécessaire. Elles n’auront pas besoin d’y recourir si les marchés se rendent compte de leurs excès de pessimisme sur l’inflation et sur la surchauffe et que le calme revient sur les taux obligataires.

Une autre question apparait alors. Si la hausse des taux continue de manière modérée, ne finira-t-elle pas par entrainer une récession ou un krach boursier ? A chaque sortie de récession américaine depuis 1990, les taux longs sont remontés d’environ 2 à 3% sur plusieurs années. Il faudrait donc qu’ils reviennent à 2.5% pour commencer à nous inquiéter. Un autre indicateur est le taux réel, c’est-à-dire l’écart entre le taux et l’inflation anticipée à 10 ans. Aujourd’hui, cet écart est négatif à -0.70%. En 2018, quand la remontée des taux longs à 3.25% a provoqué un vif repli de la bourse, le taux réel avait atteint +1%. Nous en sommes loin. L’exemple de 2013 nous enseigne que cela prend du temps (9 à 12 mois pendant lesquels la Bourse américaine avait d’ailleurs progressé régulièrement. Aujourd’hui, nous amorçons un nouveau cycle économique après une récession mémorable et celui-ci ne va pas s’arrêter brutalement. Nous avons du temps devant nous.

Certains s’inquiètent également de l’impact sur les valorisations boursières d’une possible réduction des liquidités mondiales. Il est fort probable que les Banques centrales amorceront une réduction de leurs achats d’actifs et des injections de liquidités quand la situation économique sera suffisamment assurée et pérenne. La Banque de Chine pourrait être la première à le faire. Mais cela n’est pas attendu avant 2022 aux Etats-Unis et les montants de liquidités en circulation resteront élevés durablement. Globalement, cette évolution peut entrainer une stabilisation des multiples de valorisation boursière (le PER). Mais en début de cycle, cela est compensé par le rebond des résultats qui alimente la hausse des cours. Ce fut le cas au mois de février par exemple. Rappelons que, globalement, les actions restent peu chères par rapport aux obligations, même après la récente remontée des taux. Elles disposent encore d’une marge de sécurité importante avant de souffrir réellement de la concurrence des obligations, surtout en Europe.

Il faut reconnaitre néanmoins que les marchés financiers recèlent des poches spéculatives dont nous avons parlé le mois dernier. Par ailleurs, les niveaux de valorisation de certains titres sont très élevés, notamment ceux d’entreprises qui ont pu tirer parti de la crise (elles sont nombreuses dans le secteur technologique, le commerce en ligne, le secteur de la santé, etc…) Ceci constitue certainement le point de faiblesse du système si les prises de bénéfices s’intensifiaient.

Quelle est notre conclusion ? Nous considérons que nous sommes en phase naissante d’un cycle économique de plusieurs années. La normalisation monétaire ne sera pas plus rapide que lors des sorties de récession précédentes. Les Banques Centrales n’auront pas d’autres choix que de contrôler la remontée des taux pour la rendre compatible avec la poursuite de la reprise si cela est nécessaire. Dans un tel contexte, la tendance haussière des marchés actions n’est pas terminée. Les remarques précédentes sur les doutes des opérateurs ou sur les valorisations, nous amènent à penser que des phases de volatilité surviendront régulièrement pouvant entrainer des replis des indices de 5 à 10 % ce qui est tout à fait la norme. Mais il ne faut pas confondre ces corrections avec un retournement de tendance qui est peu probable à ce stade du cycle économique et boursier.

Quelles sont les conséquences pour la stratégie d’investissement ? Il faut continuer à privilégier les actions qui sont plus protectrices que les obligations en phase de remontée des taux d’intérêt. Les périodes de doutes et de correction boursière doivent être mises à profit pour renforcer le poids des actions quand cela est possible.

Au sein des portefeuilles actions, après avoir privilégié l’année dernière les sociétés dont l’activité était régulière ou favorisée par la crise, il faut se méfier de celles d’entre elles qui paraissent très ou trop chères et profiter des rebonds des cours de celles-ci pour les alléger. En revanche, certaines ne sont pas hors de prix (le PER d’Apple n’est que de 27X 2021, celui de KERING de 25X et celui d’AIR LIQUIDE de 23X) et elles méritent encore de figurer ou d’entrer en portefeuille en cas d’opportunités.

D’autre part, même après des rebonds importants, les valeurs cycliques ou dépréciées disposent d’un potentiel de hausse non négligeable et parfois important (dans les secteurs encore pénalisés par la crise comme l’hôtellerie, la restauration, les loisirs, etc…). De la même manière, le secteur financier souffre toujours d’une forte décote et il offre une protection face à la hausse des taux comme les valeurs précédentes. Ce sont des valeurs plus risquées et volatiles qui peuvent être achetées sur repli. Enfin, la catégorie des actions de moyenne et petite capitalisation parait être également attractive.

 

Nous préconisons en définitive des portefeuilles investis de manière assez équilibrée entre ces deux grandes thématiques : valeurs à bonne visibilité ou croissance et valeurs cycliques, financières ou en retournement. Le rééquilibrage des portefeuilles en ce sens pourra être opéré à l’occasion des phases de baisse ou de hausse de ces valeurs.

Nous avons relevé nos objectifs sur les indices américains et japonais pour juin 2021 et décembre 2021 et plus modestement sur le CAC40. Par rapport aux derniers cours, le potentiel d’appréciation pour la fin de l’année est d’environ 7% en Europe, 10% aux Etats-Unis et au Japon.

 

Nous maintenons notre opinion Surpondérer sur les actions, à court et à moyen terme. Nous sommes désormais Surpondérés sur les actions américaines, européennes et asiatiques et Neutres sur les actions japonaises, à court terme et à moyen terme.

Nous avons modifié quelques recommandations sectorielles pour continuer à les adapter à l’évolution des taux et du cycle économique. A court terme, nous avons relevé à Neutre le secteur Assurance et abaissé l’Immobilier et les Services Publics à Sous-pondérer. A moyen terme, nous avons remonté à Surpondérer le secteur Tourisme & Loisirs et à Neutre les secteurs Banques, Assurance, Pétrole & Gaz. Nous avons baissé à Neutre le secteur Constructions et Matériaux.

Nous conservons une opinion Sous-pondérer à court et moyen terme sur les produits obligataires et sur les liquidités. Nous privilégions encore les obligations européennes convertibles ou à haut rendement à court et à moyen terme.

 

Début mars, notre Comité d’Allocation d’Actifs a décidé de relever le poids des actions de 1.7% (Etats-Unis, Japon et Emergents) et procédé à de petits arbitrages au sein des actions européennes. Les couvertures de change sur le dollar ont été réduites. Nous avons abaissé parallèlement le poids du poste Divers (liquidités, or et matières premières) et des produits de taux (réduction des emprunts d’Etat et Crédit US, relèvement des obligations convertibles et des produits multi stratégie obligataires).

Vincent GUENZI

Directeur de la Stratégie d’Investissement

Achevé de rédiger le 5 mars 2021.