La stratégie d'investissement

mars 2023

Faut-il réévaluer le scénario économique et financier et nos prévisions à la hausse?

Le comportement des marchés financiers au cours du mois de février a été étonnant. Alors que les anticipations de taux directeurs et les taux d’intérêt ont remonté sensiblement du fait d’un ralentissement plus modeste de l’inflation, les marchés actions ont conclu le mois en ordre dispersé, les indices européens affichant une hausse contrairement aux Bourses des autres zones géographiques qui ont subi des prises de bénéfices. Ces écarts de performances peuvent s’expliquer mais il semblerait que les investisseurs retiennent des scénarios économiques différents de part et d’autre de l’Atlantique. Par ailleurs, les améliorations actuelles de la conjoncture permettent certainement un redressement des valorisations des marchés à court terme. Mais le retour du scénario d’une récession américaine peut-il être exclu au risque de tempérer l’optimisme des marchés européens ? Au vu des niveaux qu’ils ont atteints, il devient difficile de trouver un potentiel de hausse supplémentaire sans pour autant exclure la poursuite de leurs progressions. Quant aux marchés américains, toujours en retard depuis l’automne dernier, ils ne semblent pas décidés à devenir aussi confiants sur l’avenir de leur économie. Dans ce contexte, nous avons réduit nos prévisions pour ceux-ci. Les indices mondiaux ne devraient enregistrer qu’une faible hausse supplémentaire d’ici la fin de l’année en traversant probablement une phase de consolidation au printemps ou à l’automne. Nous estimons qu’il n’est pas opportun de remonter les niveaux d’investissement en actions des portefeuilles, sauf opportunités de court terme sur des titres injustement dépréciés. Nous préférons profiter des épisodes de volatilité et de repli pour le faire ou pour continuer à acheter des actions pour les portefeuilles très peu investis.

 

 

Les signes d’amélioration de l’activité se sont confirmés au cours du mois avec des indices ISM/Markit montrant une expansion plus soutenue dans les pays développés, grâce à la poursuite du rebond des services alors que le rythme de la contraction dans l’industrie est stable. Les prévisions de croissance pour 2023 des économistes ou du FMI ont été également relevées. Cependant, son rythme devrait rester faible, proche de 1%, cette année et l’année prochaine, dans les pays développés. De plus, les économistes tablent toujours sur un ou deux trimestres faiblement négatifs, en début d’année en Europe et en milieu d’année aux Etats-Unis. Dans les deux cas, il s’agirait donc d’une récession courte et de très faible ampleur dont les dernières données publiées semblent encore réduire la probabilité. Les raisons du redressement actuel sont toujours les mêmes : baisse des prix spot du gaz en Europe, stimulation de la consommation par l’importance de l’épargne accumulée, reprise des activités de services post Covid (tourisme, déplacements, loisirs…), réouverture de la Chine après la suspension des restrictions sanitaires. Dans l’industrie, si la contraction se poursuit, les difficultés d’approvisionnement semblent s’atténuer plus largement.

Ce constat général assez positif a été terni par des déceptions sur l’inflation dont les derniers chiffres publiés en Europe et aux Etats-Unis se sont avérés moins bons que prévus, avec une baisse moins forte et même une hausse de l’inflation hors alimentation et énergie en Europe. Le processus déflationniste engagé n’en est pas remis en cause mais cela valide la position encore ferme et l’attentisme des grandes Banques centrales. Les marchés ont alors rapidement ajusté leurs attentes. Les prévisions pour les taux directeurs ont été relevées d’environ 0.25%, l’inversion des politiques monétaires a été décalée à 2024 et les taux des emprunts d’Etats ont augmenté sur les marchés (+0.35% en moyenne sur le 10 ans). Cela s’est traduit par des pertes de 2 à 3 % sur les produits obligataires européens et américains. L’année dernière, cette situation aurait provoqué une baisse généralisée des actions comme ce fut le cas au printemps et à l’automne.

Cette fois, les réactions des marchés ont été beaucoup plus modérées, avec des replis de 3 à 6%, et la consolidation a été assez brève. Etonnamment, la plupart des marchés européens a même affiché une hausse sur le mois (de 2 à 4%) contrastant avec la baisse de New-York (-2.5%) ou celle des pays émergents (-4%). Cette résilience surprenante des marchés européens et leur surperformance depuis six mois suscitent de nombreuses interrogations : déconnexion durable ou non ? excès d’optimisme ? Nous ne sommes pas épargnés par ces réflexions.

Le début de ce mouvement s’est appuyé sur l’excès de pessimisme qui régnait en Europe à l’automne, tant au sujet de la situation économique que géopolitique et qui avait poussé la valorisation des actions européennes a un niveau particulièrement bas. Depuis, l’amélioration des perspectives que nous avons mentionnée, a logiquement provoqué un rebond des Bourses, comme dans d’autres pays. Cependant, les actions européennes ont rebondi de près de 19% (et plus pour les plus grandes valeurs) contre +11% pour les actions américaines, une bonne partie de cet écart étant réalisé depuis le début de l’année. Or le relèvement des perspectives a été assez similaire aux Etats-Unis et en Europe, de même que les évolutions des taux d’intérêt, ce qui n’explique pas l’écart de performance.

L’analyse détaillée des évolutions boursières montre l’importance des facteurs sectoriels. L’Europe compte davantage de valeurs financières ou industrielles et cycliques dont les cours se sont plus redressés. De plus, les valeurs de consommation discrétionnaires moins nombreuses ont beaucoup plus progressé (Luxe, Automobile) que leurs consœurs américaines lestées par les contreperformances d’Amazon ou de Tesla depuis six mois. Le constat est identique pour les valeurs technologiques. Ces facteurs favorables aux Bourses européennes ne sont sans doute pas épuisés d’autant que les grandes valeurs technologiques américaines conservent une considérable avance accumulée sur plusieurs années qui pourrait encore se réduire.

Enfin, un dernier facteur mérite d’être relevé en février. Pour la première fois depuis 4 mois, les analystes financiers ont relevé leurs estimations de résultats des plus grandes entreprises européennes pour 2023, de 1.5% alors qu’elles ont été encore abaissées de 1% aux Etats-Unis. C’est bien sûr la conséquence du redressement des perspectives économiques mais aussi le fruit des discours plus confiants des entreprises au moment des publications de leurs résultats trimestriels pourtant jugés mitigés. Pour la première fois depuis plus de 2 ans, le pourcentage de réactions positives des cours à ces résultats trimestriels a d’ailleurs été plus élevé en Europe qu’aux Etats-Unis. C’est dans ce dernier facteur que peut résider le risque d’excès d’optimisme en Europe.

En effet, les niveaux des marchés américains intègrent en partie le risque de récession avec un abaissement des résultats escomptés de 10% depuis 6 mois, ce qui n’est pas le cas en Europe. De nombreux indicateurs avancés y pointent encore largement l’arrivée d’une récession dans les prochains trimestres, certes plus tardivement d’attendu, compte tenu de la résilience de l’activité déjà évoquée plus haut. Mais le maintien d’une politique monétaire restrictive de la FED pour accélérer le reflux de l’inflation renforce le risque de récession américaine. Pour l’instant, le facteur déflationniste l’emporte toujours aux yeux des investisseurs face au risque de récession car il permettrait à la FED de stopper la hausse des taux voire de les baisser si nécessaire. Nous avons maintes fois exprimé cette position pour justifier des objectifs de rebond des marchés sur la base de ces espoirs. Il nous semble aujourd’hui que le pessimisme qui prévalait il y a six mois est beaucoup moins important. Le pire est probablement derrière nous en ce qui concerne les indices boursiers américains mais la sortie de crise peut prendre encore un peu de temps et finir par faire perdre patience aux investisseurs et les décourager. Dans ce cas, les marchés européens, plus sensibles aux aléas économiques comme nous l’avons signalé plus haut, pourraient alors perdre de leur superbe et une partie de leurs gains actuels. Autant ils peuvent surperformer en phase de reprise, autant nous les avons rarement vu résister et surperformer en cas de décrochage plus durable des indices américains.

Cela se produira-t-il et quand ? Nous aimerions le savoir. Aujourd’hui, les indicateurs techniques deviennent un peu moins porteurs mais les tendances des Bourses ne se sont pas clairement retournées. Des gains supplémentaires de quelques pourcents sont possibles tant que la situation d’équilibre actuelle se maintient. Pour éviter d’arriver à un point de rupture, il faudrait que l’inflation baisse plus vite pour relancer l’idée de l’inversion de la politique monétaire américaine avant même qu’un ralentissement économique n’intervienne : c’est le scénario le plus optimiste qui prévaut. Même s’il se réalise in fine, les craintes des investisseurs sur une erreur de politique monétaire provoquant une récession plus forte peuvent entrainer une correction des marchés bien plus tôt, au printemps ou à l’automne.

C’est la raison pour laquelle nous maintenons une approche constructive à moyen terme et beaucoup plus prudente à court terme.

 

Enfin de manière plus anecdotique, le risque géopolitique n’a malheureusement pas disparu. Les évolutions du conflit en Ukraine n’incitent pas à un optimisme prématuré quant à sa résolution. Le renforcement bienvenu de la cohésion et du soutien occidentaux nous semble synonyme de nouvelles pertes humaines et économiques inévitables dans le contexte actuel. De plus, l’affrontement entre la Chine et les Etats-Unis, essentiellement économique pour l’instant, se renforce régulièrement et est émaillé d’escarmouches (épisodes des ballons chinois) illustrant le maintien des prétentions stratégiques chinoises. A défaut d’une économie de guerre, nous préférons parler d’économie de confrontation dans laquelle le Monde semble entrer. Ce sera sans doute un sujet pour les prochaines années mais pas un objet d’inquiétude à court terme pour les marchés.

Nous n’avons pas modifié la plupart de nos objectifs pour les indices à fin juin et fin décembre. Pour la fin du semestre, ils sont inférieurs au niveau actuel pour intégrer un risque de déception dans les prochains mois. En revanche, nous les avons abaissés pour l’indice S&P500 dont les évolutions restent plus mitigées.

 

Nous estimons qu’il n’est pas opportun de remonter les niveaux d’investissement en actions des portefeuilles, sauf opportunités de court terme sur des titres injustement dépréciés. Nous préférons profiter des épisodes de volatilité et de repli pour le faire ou pour continuer à acheter des actions pour les portefeuilles très peu investis.

 

Nous n’avons pas modifié nos opinions sur les actions. A court terme, nous gardons notre opinion Neutre et nous surpondérons à moyen terme les actions européennes et américaines. Nous restons à Neutre sur les autres zones géographiques, à l’exception de l’Europe de l’Est que nous sous-pondérons à court et moyen terme.

 

Nous avons modifié nos notes sectorielles en relevant celles des secteurs Automobile, Technologie, Services Financiers et Télécommunications. Nous avons abaissé celles des secteurs Produits de Base, Alimentation et Boissons, Services Publics et Assurance.

 

Nous maintenons une opinion Neutre à court terme et Sous-pondérer à moyen terme sur les produits obligataires. Les Emprunts d’Etat ont repris une tendance baissière à court terme et à moyen terme. Les obligations privées ont retrouvé une tendance neutre à court terme mais le crédit à haut rendement et les obligations convertibles sont mieux orientés.

 

Lors de notre dernier Comité d’Allocation d’Actifs de fin février, nous avons profité de la hausse des indices pour alléger à nouveau notre exposition en actions (en Europe essentiellement). Nous avons renforcé le poids des produits de taux (emprunts d’Etat US et Euro) et des liquidités tout en allégeant celui des produits Inflation.

 

Sommaire:

 

Editorial-Synthèse

Economie: les dernières statistiques permettent d’écarter une récession à court terme.

Etats-Unis: une activité toujours soutenue par la consommation et par la vigueur des services.

Zone Euro: l’activité globale est revenue en zone d’expansion en février dans de nombreux pays.

Japon: l’activité poursuit son léger redressement et s’éloigne un peu plus de la stagnation.

Pays émergents: retour de l’expansion en Russie, accélération en Inde et en Chine, nouvelle contraction au Brésil.

Marchés de taux d’intérêt: hausse générale des taux et des attentes des Banques Centrales.

Marchés des changes et des Matières Premières: rebond du dollar et baisse des matières premières.

Résultats des entreprises: baisse des estimations de bénéfices sauf en Europe.

Evolutions des secteurs européens: poursuite de la hausse emmenée par les secteurs value.

Evolution des marchés actions et des valorisations: baisse générale sauf en Europe.

Stratégie d’investissement: maintien de la position Neutre sur les actions.

Allocation d’actifs d’un fonds patrimonial Equilibré: nouvel allègement sur les actions.

                                                                                                                                                                                                                                                                                          Vincent GUENZI

Directeur de la Stratégie d’Investissement

Achevé de rédiger le 8 mars 2023