La stratégie d'investissement

juin 2019

La correction a commencé à créer des opportunités d’achat pour les investisseurs audacieux.

Après une hausse des marchés financiers de quatre mois sans véritable interruption, l’heure de la correction était arrivée. Celle-ci s’est produite au mois de mai, retraçant environ un tiers de la progression de l’année. Les investisseurs ont affronté de nombreuses déceptions, géopolitiques, politiques et économiques qui sont venues quelque peu ébranler leurs convictions.

 

Sur le plan géopolitique, les craintes se sont portées sur le Golfe Persique. La pression américaine sur l’Iran s’est intensifiée et divers incidents et sabotages ont touché des intérêts saoudiens. Dans un premier temps, les cours du pétrole Brent ont atteint 75$, soit le niveau de l’automne dernier, avant de se replier vers 60$ pour de multiples raisons comme la hausse des stocks ou les craintes pour la croissance.

Au plan politique, les résultats des élections européennes ont été bien absorbés puisque la montée des partis nationalistes ou europhobes a été contenue. Les partis pro-européens devraient pouvoir constituer une coalition leur assurant la majorité. Le succès des partis écologistes traduit l’intérêt croissant des électeurs pour les questions environnementales et cela n’impactera sans doute nos économies et les entreprises qu’à long terme. A plus court terme, la victoire de la Ligue en Italie a renforcé Matteo Salvini et celui-ci s’est empressé de remettre en cause son engagement à ne pas laisser enfler le déficit public. Cela va amener un nouveau bras de fer avec Bruxelles et finira certainement par un compromis. Mais dans l’intervalle, les taux italiens en ont été affectés et la remontée du spread avec le Bund allemand a été rapide, sans retrouver pour autant les plus hauts niveaux de l’année dernière.

 

Le risque politique le plus important nous est venu d’Angleterre puisque Theresa May, dans l’incapacité de faire ratifier par le parlement l’accord négocié avec l’Union européenne, a dû annoncer sa démission pour le 7 juin. Boris Johnson, le plus fervent Brexiter est favori pour lui succéder ce qui augmenterait les craintes de  sortie sans accord (« Hard Brexit ») pouvant occasionner de nombreuses perturbations économiques. Heureusement, pour l’heure, les conséquences pour les marchés ont été minimes en dehors d’un affaiblissement de la livre sterling.

 

A tout seigneur, tout honneur, c’est bien entendu l’escalade protectionniste qui a inquiété les marchés au premier chef. Les négociations sino-américaines ont cessé, chaque partie rendant l’autre partie responsable de l’échec. Donald Trump, mécontent de l’évolution des pourparlers, a relevé de 10% à 25% les droits de douane applicables à 200 milliards de $ d’importations chinoises. Après la riposte de la Chine, Washington a annoncé vouloir taxer 300 milliards d’importations supplémentaires à 25% dans les prochaines semaines. Le conflit s’est encore envenimé avec l’embargo décrété sur l’équipementier télécom chinois Huawei, privé d’exportations vers les Etats-Unis mais aussi interdit d’utiliser des technologies américaines. A cette sanction, la Chine a répliqué en menaçant de réduire les exportations de terres rares, matériaux très utilisés dans les produits technologiques et de consommation, dont elle est le principal producteur. Cette escalade est dangereuse à plus d’un titre. Premièrement, tout retour en arrière est plus difficile, chaque concession devenant un aveu de faiblesse. Ensuite, elle annihile les espoirs de conclusion rapide d’un accord au G20 du 29 juin prochain. Enfin, si toutes ces mesures sont mises en place, même temporairement, elles auront des impacts inflationnistes ou récessifs et pourraient désorganiser les circuits de production. Les prévisions de croissance américaine, chinoise et mondiale en seraient révisées à la baisse.

 

Cela est d’autant plus fâcheux que le mois de mai a confirmé la fragilité du rebond d’activité initié depuis quelques mois dans de nombreux pays émergents dont la Chine, mais aussi aux Etats-Unis. Le recul touche particulièrement les activités industrielles dans toutes les zones géographiques.

Pour couronner le tout, Donald Trump a aussi engagé des mesures protectionnistes avec le Mexique, pays avec lequel il avait pourtant signé récemment un accord en compagnie du Canada ! A qui se fier ?

Tous ces événements ont eu pour conséquence d’assombrir les perspectives des investisseurs et des marchés. Comme au dernier trimestre de l’année dernière, toutes les classes d’actifs ont subi la montée de l’aversion au risque qui en découle : forte baisse des taux souverains, baisse des matières premières et du pétrole, baisse des indices actions et notamment des secteurs les plus risqués ou des pays les plus sensibles à la guerre commerciale.

Cependant la baisse des marchés a été atténuée par plusieurs facteurs. Tout d’abord les espoirs d’armistice demeurent. Ensuite, rappelons que les grandes Banques centrales ont adopté en début d’année des positions plus conciliantes. La Fed a confirmé qu’elle ferait le nécessaire pour soutenir la croissance. Les anticipations de baisse de taux se sont renforcées et ont ramené un peu de calme sur les marchés. Enfin, la valorisation des actions est revenue à des niveaux plus attractifs d’autant que les taux longs ont retrouvé des points bas (2% aux Etats-Unis, -0.20% en Allemagne). L’optimisme qui prévalait s’est dissipé, ce qui est jugé positif d’un point de vue contrariant. Et puis, les indices actions ont touché les premiers objectifs de baisse envisagés par les analystes techniques.

Tout ceci militait donc pour que la baisse s’arrête et qu’un rebond se mette en place.

 

Quelles conclusions opérationnelles en tirer ?

La première étape de baisse que l’on pouvait attendre a été faite. Elle permet de se ré-intéresser à certaines actions ou de commencer à investir des liquidités, qui seraient trop importantes, sur des sociétés de qualité. A titre plus spéculatif, des valeurs plus risquées ont baissé davantage et peuvent offrir des potentiels de gains significatifs.

Cependant, tous les doutes n’ont pas disparu. La menace que le protectionnisme fait peser sur la croissance est réelle et les probabilités d’un accord prochain sont faibles. De plus, comme l’activité ralentit et que les statistiques restent décevantes, cela constitue sans doute un frein à la hausse. Sans la présence de la Fed, il n’est pas sûr que la baisse des cours se soit arrêtée aussi vite. Les marchés ont une confiance absolue dans la Fed mais, par le passé, elle n’a pas toujours réussi à endiguer les ralentissements.

Ce n’est pas notre hypothèse. Nous pensons toujours qu’il est prématuré d’anticiper une récession aux Etats-Unis mais le contexte reste fragile tant que la menace protectionniste persiste. C’est pourquoi nous n’avons pas encore renforcé globalement nos positions. Nous trouvons le ratio risque/ rentabilité encore un peu insuffisant.

Nous espérons toujours que l’environnement global n’est pas en train de changer radicalement et que nous pourrons profiter d’une meilleure opportunité prochainement. Inversement nous reconnaissons aussi que la probabilité de baisse supplémentaire a probablement diminué.

Nous restons donc encore un peu prudents à très court terme. Notre exposition légèrement sous-investie nous permet de rester relativement sereins et confiants pour les prochains trimestres.

 

Nous n’avons pas modifié nos prévisions pour fin juin et fin décembre. Même si le niveau d’incertitude a augmenté, une atténuation des tensions ne peut pas être exclue. Par rapport aux niveaux actuels, le potentiel de hausse des indices  est de l’ordre de 8 à 10% d’ici décembre.

 

Nous maintenons nos recommandations globales sur les actions, toujours Neutre à court terme et Surpondérer à moyen terme. Nous avons seulement abaissé la note des actions asiatiques à Neutre, compte tenu de leur sensibilité à la guerre commerciale.

Nous avons procédé à quelques ajustements sectoriels. Nous avons relevé la note à court terme du secteur Media à Surpondérer. Nous avons abaissé celle de la Distribution à Neutre et celles de l’Automobile et des Produits de Base à sous-pondérer. Nous maintenons donc une allocation assez défensive.

 

Nous conservons notre opinion Neutre à court terme et Sous-pondérer à moyen terme sur les produits obligataires. Compte tenu du repli intervenu qui renforce leur attractivité, nous avons relevé la note des obligations européennes à haut rendement à Neutre.

 

Dans notre allocation équilibrée, nous avons encore  légèrement abaissé en fin de mois dernier le poids des obligations convertibles européennes, des actions et des obligations des pays émergents. Nous avons remonté la pondération des emprunts d’Etats américains et des liquidités.

 

Vincent GUENZI

Directeur de la Stratégie d’Investissement

Achevé de rédiger le 7 juin 2019.